Quelle est votre politique en ce qui concerne le port du masque ?
Avant tout, je voudrais souligner que ce que je vais vous dire est vrai à la date du 21 mars mais susceptible de profonds changements dans les semaines, voire les jours à venir.
Lors de leur venue à l’hôpital, en salle d’attente de consultation ou en hôpital de jour, le port d’un masque de type chirurgical est hautement recommandé. Il est indispensable pour les patients sévèrement immunodéprimés (malades allogreffés notamment).
Certaines recommandations et particulièrement celles de la direction générale de la santé préconisent, pour les patients à haut risque d’infection grave par le COVID-19 (comme le sont la majorité de nos patients), une double protection c’est à dire le port du masque chirurgical par le patient et par le médecin. Je crois que tout le monde sait aujourd’hui que le port d’un masque chirurgical systématique chez des personnes non symptomatiques reste controversé. Néanmoins au vu de l’information de la population il est difficile de ne pas tenir compte de ces recommandations. Dans notre département, les soignants et les patients ont la recommandation de porter le masque dès l’accueil et pendant les consultations. D’ailleurs, la plupart des patients viennent déjà avec un masque. C’est quelque chose qu’ils ont déjà établi d’eux-mêmes et donc nous n’avons que très rarement à leur fournir un masque. Dans tous les cas et on le verra plus tard les mesures physiques de distanciation sont mises en œuvre à tous les moments et particulièrement au moment de la consultation et l’on ne fait un examen clinique que s’il est indispensable. Bien sûr pour les patients hospitalisés dans le département le port du masque au moment du soin était déjà systématique.
En ce qui concerne le port du masque FFP2, il n’est utile que pour les patients ou les médecins qui seraient positifs au COVID-19 ou très fortement suspects de l’être. Aujourd’hui la démarche de l’établissement c’est d’éviter à tout prix que viennent dans le département d’Hématologie des patient COVID+ et nos patients qui ont des signes respiratoires ou une infection prouvée sont systématiquement orientés vers la filière COVID+. Donc on a peu d’usage du masque FFP2 dans un département d’Hématologie.
Comment s’organisent les téléconsultations dans la pratique quotidienne, et qui les prend en charge ?
Les téléconsultations ont été anticipées. Cela signifie que toutes les consultations qui sont prévues depuis une semaine ont systématiquement été anticipées pour pouvoir se réaliser en téléconsultation. Chaque médecin a identifié les patients qu’il devait voir dans les huit prochains jours comme potentiellement accessibles à une téléconsultation. Classiquement les consultations de surveillance ou les consultations où on peut penser que l’examen clinique n’est pas nécessairement pertinent ou utile. Suite à cette identification par les médecins les secrétaires ont appelé les patients pour leur demander leur accord. Celui-ci a été obtenu dans la totalité des cas. On garde alors le créneau de rendez-vous. On demande au patient de nous signifier le numéro de téléphone d’appel et de bien rester à proximité de son téléphone avec les documents nécessaires à la réalisation de la consultation notamment les hémogrammes ou les bilans complémentaires qui ont pu être demandés. Aujourd’hui on continue toutes les semaines à programmer les téléconsultations à l’échéance d’une huitaine ou une dizaine de jours et on reçoit plutôt un accueil très favorable des patients qui sont toujours assez volontaires. Très très peu de monde veut venir nous rencontrer. Et globalement on est aux alentours de 50% des patients qui sont en téléconsultation. Ce processus offre l’avantage de ne pas déprogrammer des consultations et donc de ne pas surcharger ultérieurement notre activité, lorsque cette épidémie sera passée.
Pour les demandes de consultation initiale, nous avons une procédure déjà mise en place depuis très longtemps. Ces demandes de consultation doivent être accompagnées par le patient ou par le médecin de quelques mots ou quelques examens complémentaires qui permettent de les éclairer. Celles-ci sont vues de façon quotidienne voire biquotidienne. On peut distinguer deux situations : cette consultation est urgente et une date de venue proche est donnée. Dans une deuxième situation, et à la lumière des données qui nous sont fournies, il apparaît que cette consultation puisse être décalée dans le temps voire même totalement gérée par téléphone. Un médecin appelle le patient et/ou son médecin traitant pour analyser plus finement la situation et, soit programmer une consultation après le 15 juin, voire l’annuler si le problème peut être réglé par téléphone.
Sauf symptôme ou signe inquiétant les examens radiologiques de surveillance des patients sont systématiquement différés.
Que préconisez-vous, les perfusions à domicile ou les immunoglobulines sous-cutanées et éventuellement quels sont les critères de choix ?
Pour les perfusions d’immunoglobulines à Montpellier depuis maintenant plus de 5 ans notre stratégie c’est de ne pas faire d’immunoglobulines par voie intraveineuse Tous les patients qui requièrent des immunoglobulines ont déjà des programmes immunoglobulines par voie sous-cutanée. Pour certains patients, on arrête souvent ces traitements substitutifs aux mois d’avril ou mai et à ce jour notre décision est plutôt de les prolonger jusqu’à fin juin de manière à passer cette période épidémique. En cas d’intolérance aux formes sous-cutanées on réalise cette administration à l’hôpital de jour comme habituellement.
Qu’en est-il de votre activité en hôpital de jour ?
La décision a été prise de ne pas modifier l’activité de l’hôpital de jour dans son ensemble : les patients qui ont un traitement viennent aux dates fixées. En revanche, nous avons un objectif de salles d’attente vides à la fois en consultation et en hôpital de jour. Notre organisation nous permet d’atteindre cet objectif. Un patient pas plus par salle d’attente ce qui impose une rigueur dans nos organisations médicales. En hospitalisation de jour, nous n’avons que des chambres individuelles sauf une où il y a trois fauteuils. Actuellement on essaye d’y mettre un seul patient.
Quelles décisions avez-vous pris en ce qui concerne l’initiation de nouveaux traitements ou de nouvelles séquences thérapeutiques ?
De façon générale on essaie de surseoir aux traitements qui ne sont pas immédiatement indispensables, par exemple pour une hémopathie lymphoïde de faible malignité. Néanmoins on a décidé de ne pas surseoir aux traitements qui sont déjà initiés quel que soit le type de traitement, incluant le rituximab sous cutané. Il faut en effet garder à l’esprit qu’on ignore combien de temps la situation épidémique actuelle va durer. Il est possible, voire probable que la situation soit pire dans un mois et, de décalage en décalage, qu’il y ait des pertes de chance. Avant toute décision de décalage, il faut garder cette hypothèse à l’esprit. Pour les autres pathologies (lymphomes agressifs, leucémies aiguës) nous conservons notre politique de prise en charge immédiate.
Qu’en est-il pour les autogreffes ?
Le programme d’autogreffe est une situation qui nous a beaucoup préoccupé et de manière générale qu’il s’agisse du programme d’autogreffe ou du programme de CAR-T nous avons décidé de ne pas les modifier en tenant compte de plusieurs éléments. Le premier est que si certaines situations pourraient être décalées et l’on pense particulièrement aux myélomes l’exposition des patients à de fortes doses de corticoïdes pendant plusieurs semaines dans un contexte épidémique ne nous paraît pas non plus très favorable. Pour les lymphomes il nous semble qu’aujourd’hui décaler de quelques semaines ne va pas régler la situation.
Décaler de plus de 6 à 8 semaines une autogreffe d’un lymphome ayant rechuté est probablement une perte de chance. Si on décale de 2 ou 3 semaines on sera contraint de faire cette autogreffe lors du pic épidémique. Pour le moment on ne modifie pas notre stratégie ni pour les lymphomes ni pour les myélomes.
Et votre programme CAR-T ?
Pour les CAR-T, c’est la même chose et chaque décision de traitement est prise en concertation avec le service de réanimation. Vous savez que le temps qui passe entre la collection et la réinjection est un temps très critique pour le pronostic du patient. Donc à ce jour on ne modifie pas le programme des CAR-T. Néanmoins, tant pour les autogreffes que pour les CAR-T, il faut souligner trois points. Le premier c’est qu’il faut être encore plus rigoureux sur les indications. Le deuxième c’est la nécessité de tester systématiquement pour le COVID-19 les patients à l’entrée. Et le troisième c’est que finalement quand ils sont COVID négatifs et qu’ils sont dans notre service, le risque est probablement moindre que lorsqu’ils sont sous chimiothérapie ou corticoïdes à fortes doses à la maison. En sachant qu’on a une filière post-greffe et post CAR-T dans un SSR disposant d’une unité de médecine qui est COVID négatif et où nos patients sont transférés.
Avez-vous rencontré des difficultés dans l’acheminement ou le retour des produits de CAR-T ?
À ce jour, nous n’avons pas eu de soucis pour l’acheminement et le retour des produits de cytaphérèse est conforme aux engagements des deux laboratoires fabricants.
Qu’en est-il pour les greffes allogéniques ?
Pour les greffes allogéniques, nous suivons les recommandations de l’agence de biomédecine. La difficulté particulière pour une greffe allogénique tient à l’état de santé du donneur. On ne peut pas commencer un conditionnement et donc mobiliser un donneur si on n’a pas la certitude qu’il est en bonne santé. Tous les donneurs doivent être testés pour le COVID-19 et, pour ceux négatifs, suivis pendant 2 semaines après le prélèvement de CSP. Les greffons doivent être congelés pendant cette période d’observation. Si le donneur est COVID+, il doit être exclu pendant 3 mois. Selon l’EBMT si le donneur a un contact positif ou si, lui ou un membre de son proche entourage a voyagé dans une zone d’endémie il devra également être exclu au moins 28 jours. Ces procédures alourdissent le processus d’allogreffe. Pour votre information par exemple on a fait cinq allogreffes en mars à Montpellier. En raison de toutes ces précautions, et sauf urgence, nous n’avons aucune allogreffe prévue pour les six prochaines semaines.
Un autre problème s’est rajouté. Les autorités sanitaires allemandes refusent de tester systématiquement les donneurs. De ce fait, le fichier allemand, source importante de donneurs, ne peut être actuellement consulté.
Rencontrez-vous des difficultés particulières pour le support transfusionnel ?
A ce jour, les EFS d’Occitanie peuvent subvenir aux besoins transfusionnels. Néanmoins on est forcément préoccupé par cette situation et on a donc rappelé à tous les recommandations d’économie, plus particulièrement les seuils de transfusion plaquettaires à 10 000/mm3, de globules rouges avec un seuil d’hémoglobine à 80 g/L à adapter à la situation. Il y a maintenant des appels aux dons dans la presse pour que chacun puisse y participer parce que nous sommes proches du seuil critique. Il est important de noter que donner son sang ou ses plaquettes est un motif dérogatoire de sortie.
Quelle est votre politique de recherche clinique ?
A Montpellier, nous avons organisé une permanence des attachés de recherche clinique auprès des médecins permettant à certains d’entre eux de faire du télétravail (remplissage des CRF) et à d’autres d’être présents en soutien à des médecins de manière à pouvoir poursuivre les inclusions dans les essais thérapeutiques. On s’attache particulièrement à poursuivre les inclusions dans des situations où cela constitue une option thérapeutique importante pour les patients et je pense notamment aux phases 1 ou 2 pour lesquelles, dans certains cas, c’est la seule option thérapeutique envisageable et donc on souhaite la préserver. La plupart des essais de phase 1 et 2 sont actuellement ouverts aux inclusions et on n’a pas de difficulté à inclure nos patients et à adresser les échantillons lorsqu’ils sont nécessaires notamment les échantillons sanguins pour des tests biologiques. La plupart des essais de phase 1 se sont organisés avec les industriels pour pouvoir garder à ce jour les transports. Pour certains essais, notamment des essais de phase 3 ou pour des essais avec certains groupes institutionnels, le monitoring est réduit et peut se faire par téléphone, ainsi que pour certains essais industriels. En outre, pour un certain nombre d’essais les téléconsultations sont acceptées ce qui est un moyen d’évaluer le patient sans le faire venir.
Dans notre centre nous avons annulé toutes les mises en place présentielles qui se font maintenant par téléconférence. Aucune venue d’ARC de monitoring n’est acceptée.
Avez-vous interdit les visites aux patients ?
Oui, nous avons malheureusement dû interdire toute visite aux patients. En consultation, nous demandons aux patients de venir seuls sauf pour les patients qui ont des difficultés pour se déplacer.
Et concernant les mesures pour le personnel ?
Les soignants à risque selon les critères de la Direction Générale de la Santé peuvent s’ils le souhaitent s’arrêter de travailler.
Aujourd’hui la politique de l’établissement est de préserver une activité normale du département d’Hématologie. Ce que l’on constate néanmoins c’est une réduction des demandes d’avis. Depuis quelques jours certains patients annulent d’eux-mêmes leur consultation et souhaitent revenir dans plusieurs mois. Il n’est pas improbable qu’on doive fermer des lits dans les semaines à venir en fonction de l’évolution de l’épidémie par manque de soignant. En ce qui concerne les médecins on a quelques médecins étrangers qui sont bloqués sur leurs territoires nationaux parce qu’ils y étaient pour prendre des vacances. Donc on élabore aussi des stratégies avec d’anciens médecins ou d’anciens internes qui sont passés dans le service pour qu’ils puissent nous rejoindre en cas de difficulté.
L’hôpital a donc mis en place deux filières d’accueil une filière d’urgence conventionnelle et une filière COVID. On a donc dû mobiliser du personnel médical et du personnel soignant pour doubler cette filière d’accueil et faire appel à l’ensemble des médecins de l’institution pour participer à cette permanence des soins qui était nouvelle. L’activité d’Onco-Hématologie a été épargnée par cette demande pour deux raisons. La première c’est parce qu’on nous demande de poursuivre notre activité ce qui est légitime et la seconde c’est pour ne pas nous mettre en contact avec des patients potentiellement positifs. Les externes à partir de la troisième année sont toujours dans les services mais on leur demande de ne pas consulter les patients. La consigne générale est d’essayer de limiter les visites aux patients. Un seul médecin rentre pour chaque patient. Actuellement notre objectif est aussi de préserver les congés de tous les professionnels pour qu’ils puissent prendre du répit.
Enfin, qu’en est-il pour les RCP ?
Elles sont maintenues en limitant le nombre de médecins présents, en recourant autant que possible aux téléconférences. Une présence physique d’un certain nombre de médecins avec le dossier du patient est cependant nécessaire.
Pour en savoir plus :
COVID-19 Propositions SFH 17 mars 2020
Courrier ABM SARS COV-2 CSH Phase 3 seule 15 Mars 2020