Interview du Dr Sylvain CHOQUET, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

La rédaction d’HEMATO A LA UNE vous remercie très sincèrement de nous avoir permis de réaliser cette interview dans la période si difficile que vous traversez.

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quelle a été la diffusion des recommandations publiées par la SFH le 17 Mars et comment, à votre connaissance, ces préconisations sont-elles suivies et mises en place ? Auriez-vous des précisions, des recommandations complémentaires à apporter par rapport à la première version ?

En fait, nous sommes submergés par les recommandations, qu’elles soient nationales de la DGS, régionales des ARS, locales de l’AP-HP ou du groupe Pitié-Salpêtrière, voire même internationales de l’EBMT. 

Tout va très vite ! 

L’initiative de la SFH était à l’origine de proposer quelque chose d’utile, des préconisations pragmatiques parce que les gens avaient besoin, sur le plan national, de savoir dans quel sens aller et d’avoir des directives qui confirment ou non les décisions qu’ils prenaient ou envisageaient de prendre. Ainsi, à cette date, tout le monde n’était pas d’accord pour rechercher le COVID chez les donneurs sains de cellules souches et chez les receveurs avant auto- ou allogreffe ou administration de cellules CAR-T. Maintenant c’est fait systématiquement.

 Donc ces premières recommandations ont vite été obsolètes et les recommandations actuelles sont de plus en plus précises et incontournables.

La sanctuarisation des services d’Hématologie est-elle réellement possible dans la durée ?  

 Les questions qui se posent actuellement sont en fait plus difficiles :

  • Faut-il tester tout le monde ? Faut-il tester tous les nouveaux patients ? En interrogeant les membres de la collégiale des hématologues, il n’y a pas de consensus. Avec l’extension des possibilités de test, on s’oriente vers un dépistage systématique.
  • Que fait-on des patients COVID (+) ? Et faut-il traiter les patients COVID (+) ? 

A la Pitié-Salpêtrière, nous avons prévu d’ouvrir un secteur de soins COVID (+) commun avec la cancérologie médicale et la radiothérapie pour prendre en charge les patients dont le traitement ne peut attendre. 

On a à faire face brutalement à une situation qui est beaucoup plus difficile en cette « période de guerre » qu’au tout début. Nous sommes à Paris dans une situation d’urgence où les priorités évoluent très rapidement. Nous avons néanmoins choisi de sanctuariser le service dans un hôpital pavillonnaire où la majorité des services sont devenus COVID (+).

Pour d’autres régions, la situation est moins pénible, leur donnant plus de temps pour s’organiser.

Dans le domaine des transplantations de cellules souches hématopoïétiques et de traitements par cellules CAR-T, comment gérez-vous ces malades ?

Nous essayons de repousser un maximum d’autogreffes, c’est-à-dire tous les myélomes et, sauf cas particulier, les lymphomes quitte à prolonger les chimiothérapies.

Pour les myélomes, nous essayons d’arrêter les traitements par dexamethasone sauf pour les urgences : patient très douloureux, hypercalcémie menaçante. En outre, nous sommes méfiants avec certains médicaments comme le carfilzomib. 

De même, pour les CAR-T nous recourrons, dans les lymphomes à des traitements de ‘bridge’, même si la maladie ne le justifiait, pas pour différer le traitement de 6 à 8 semaines. C’est beaucoup plus difficile dans les LAL.

Et comment gérez-vous les autres malades sous traitement ?

Les recommandations du groupe FILO vont là aussi dans le sens d’un report : ne pas commencer de traitement sauf urgence. En revanche, il faut poursuivre sans interruption les traitements par ibrutinib et venetoclax en raison du risque de rebond à l’arrêt.

Pour ce qui concerne d’autres affections comme les lymphomes agressifs, certains se donnent un délai de 2 semaines. On ne sera pas sorti de la période de pandémie mais cela donne une idée sur l’évolutivité de l’hémopathie et permet de voir si des symptômes apparaissent Autant que possible, nous encourageons la réalisation des chimiothérapies en HAD.

Pour les patients COVID (+) sans symptôme ou signe de gravité et dont le traitement est moins urgent, ils sont suivis à domicile avec l’application COVIDOM propre à l’Ile-de-France mais en cours de généralisation. Cette application gratuite nous permet de surveiller à distance les patients atteints ou fortement suspects de COVID. Chaque médecin est enregistré. Les patients, en vue de leur retour à domicile reçoivent un code d’accès. Chaque jour, les réponses à un questionnaire simple nous permettent de savoir si le patient peut rester à domicile ou doit être hospitalisé, en hospitalisation conventionnelle ou en réanimation, il est alors dirigé vers le 15. Cette application permet de suivre en télésurveillance les patients et de désengorger les services. Il existe sur l’AP-HP, une garde médicale COVIDOM à laquelle nous participons.

Des problèmes particuliers sont-ils apparus dans cette période si particulière ?

Oui, par exemple les CECOS ont dû fermer le vendredi 27 mars sur demande de l’ARS, mais devant la levée de bouclier des cliniciens, un courrier signé par les responsables des CECOS/procréation médicalement assistée, l’AP-HP, les collégiales de cancérologie et d’hématologie a été adressé à l’ARS et ces organismes sont en train de ré-ouvrir depuis hier sous conditions (prélèvement dans le service clinique, dépistage COVID du donneur etc…).

Dans un hôpital de la taille du groupe Pitié-Salpêtrière, comment l’activité du département d’Hématologie s’intègre-t-elle à l’activité générale de l’hôpital ?

En ce qui concerne le personnel soignant, sa prise en charge se fait à part dans le cadre de la médecine du travail. Le personnel suspecté d’infection est testé dans un secteur à part. 

Si un membre du personnel est testé positif mais asymptomatique, le travail se poursuit (nous sommes en grande pénurie) avec les protections par masque et les mesures-barrière. 

S’il est symptomatique sans nécessité d’hospitalisation, il reste confiné à domicile pendant au moins 7 jours et après 48h sans symptôme il peut reprendre son travail avec les précautions déjà mentionnées. 

Compte tenu des besoins, nous participons aux gardes médicales de la médecine du travail et aux gardes de gestion des lits d’hospitalisation conventionnelle.

Rencontrez-vous des problèmes particuliers dans la gestion des malades atteints d’hémopathie et COVID (+) ?

Bien évidemment, la gravité de la maladie est très supérieure à celle de patients sans comorbidités et le pronostic de nos malades qui ont dû être transférés en réanimation est particulièrement sombre. Ceci conduit les réanimateurs à prendre des décisions très difficiles sur le plan éthique. Par exemple, ils ont refusé, compte tenu de ses antécédents, de prendre en réanimation une malade atteinte d’un lymphome cérébral en rémission complète. A l’inverse, nous observons aussi des patients dont l’infection guérit après une phase pauci-symptomatique alors qu’ils ont un profond déficit immunitaire. Ceci renforce notre politique de tout faire pour que nos patients restent COVID (-), notamment en évitant de les faire venir à l’hôpital et en insistant sur leur confinement.

Chez un patient COVID (+), quel délai faut-il attendre pour débuter ou reprendre une chimiothérapie ?

Il n’y a pas de réponse précise à cette question. Il est préférable d’attendre deux semaines pour connaître l’évolution de l’infection. Nous savons que des malades COVID (+) mais asymptomatiques ont été traités par chimiothérapie avant le résultat du test mais nous n’avons pas ou peu d’informations sur leur évolution.

Comme précédemment mentionné, nous allons créer un secteur pour prendre en charge les patients COVID (+) devant être traités comme un lymphome de Burkitt ou une leucémie aiguë. Mais il faut éviter d’hospitaliser ces patients dans un service d’Hématologie. Pour cela, il faut se diriger vers un dépistage systématique avant l’entrée dans le service.

Qu’en est-il de la fiabilité des tests et de la rapidité d’obtention des résultats ?

A la Pitié, le délai pour obtenir un résultat est d’environ 5 heures (transport et technique inclus). Le patient doit attendre pendant ce temps, avec un masque chirurgical, avant de de savoir si la chimiothérapie sera débutée, en cas de négativité. S’il est positif, le choix se fait entre retour au domicile, avec l’application COVIDOM, hospitalisation conventionnelle en secteur COVID (+) ou en réanimation. 

Nous n’avons pas eu de cas de faux négatif pour l’instant.

Comment se passent les transfusions itératives nécessaires pour une hémopathie bénigne ou maligne ?

Comme nous ne pouvons pas transfuser en HAD, les malades doivent venir en hôpital de jour comme avant et portent un masque pendant la transfusion. Nous ne faisons pas encore de dépistage systématique pour ces patients lorsqu’ils sont asymptomatiques.

Quelle est votre politique vis-à-vis des masques ?

Il y a plusieurs principes :

  • Tout le personnel porte en permanence à l’hôpital un masque chirurgical. Seule l’IDE en charge des prélèvements de dépistage porte un masque FFP2. Tous les prélèvements de dépistage sont faits par la même IDE.
  • Lorsque doit être effectué un geste invasif, particulièrement risqué, comme une fibroscopie, le port d’un masque FFP2 est nécessaire ainsi que lunettes, sur-blouse, sur-chaussures, etc …
  • Les malades portent un masque chirurgical lorsque le statut négatif n’est pas confirmé.

Avez-vous observé des manifestations hématologiques particulières chez les malades COVID (+) ?

Très peu. Une lymphopénie modérée autour de 700/mm3 est habituelle. Nous avons observé de très exceptionnelles thrombopénies sévères avec moelle riche en mégacaryocytes probablement en rapport avec l’infection, avec une récupération rapide.